02/02/2014

Procès Simbikangwa en France : la fin de 20 ans d’impunité ?

               Rescapés du génocide des Tutsi, près de Kigali (Source Kagatama)

Si on nous avait dit que nous allions attendre 20 ans, si on nous avait dit que les présumés génocidaires rwandais vivraient en paix en France pendant tant d’années, si on nous l’avait dit, en 1994, nous ne l’aurions pas cru. Bien sûr, après Noroît, après Amaryllis, après Turquoise, nous n’étions pas très optimistes. Mais on se disait tout de même, que dans la patrie-des-droits-de-l’homme, dans la France de Montesquieu, la France de Badinter, offrir l’impunité à des personnes accusés de génocide, ce n’était pas possible. Et bien, si. Ces présumés génocidaires se sont installés tranquillement en France. Agathe Kanziga-Habyarimana, accusée de génocide, y a été accueillie le 9 avril 1994 avec un chèque de 200 000 Fr (31 000 Euros) du ministère de la coopération française. Arrivé à Paris en sortant d’une prison du Kosovo, Callixte Mbarushimana a obtenu en temps record un statut de réfugié, juste avant de se lancer dans la direction du mouvement terroriste FDLR. Eugène Rwamucyoconsidéré comme un des leaders du génocide à Butare et Sosthène Munyemana surnommé « le boucher de Tumba » exercent comme médecins en province. Wenceslas Munyeshyaka exfiltré de Goma par l’Église de France est devenu aumônier de jeunes scouts français...etc.  

La Belgique, la Suisse, les Pays-Bas, le Canada, la Norvège, la Suède, l'Allemagne et la Finlande, ont jugé des Rwandais accusés de génocide. Mais pendant 20 ans, la France est restée sourde aux cris des victimes rwandaises réfugiées en France, des militants des droits de l’homme, des chercheurs spécialistes de l’histoire du Rwanda, des journalistes dont certains ont été témoin du génocide. Les Français ne sont pas tous des adeptes de Pierre Péan, le fraîchement médaillé de la légion d’honneur qui s’autoproclame révisionniste du génocide des Tutsi [1], comme avant lui Robert Faurisson concernant le génocide des Juifs.

Et puis, petit à petit, on y est arrivé. Le capitaine Simbikangwa se retrouve aujourd’hui devant la Cour d’assise de Paris. Certes, c'est un peu par hasard, car sans son trafic de faux papiers, il coulerait encore des jours heureux sous le soleil de Mayotte, tout comme des dizaines de Rwandais recherchés par Interpol et qui vivent en toute impunité en France. On espère que suivront prochainement les procès de Octavien Ngenzi, Tito Barahira qui sont en détention, et de Wenceslas Munyeshyaka et Laurent Bucyibaruta (tous  deux inculpés par le TPIR). Mais ne serait-ce pas plus raisonnable de juger des Rwandais accusés d’avoir commis un génocide contre les Tutsis rwandais au Rwanda, plutôt que de les juger devant des étrangers, dans des langues étrangères dans lesquelles il est souvent difficile ou sinon impossible d’exprimer les nuances des témoignages ?

Après les Canadiens et les Norvégiens, les Néerlandais, toujours pragmatiques, ont compris que leur rôle n’est pas de juger des Rwandais pour génocide. Reconnaissant les efforts énormes du Rwanda pour répondre aux exigences internationales - dont l’abolition de la peine de mort en 2006 - ils ont soutenu son système judiciaire et ont signé un accord d’extradition avec le Rwanda. Pendant qu’en France l’avocat général de la Cour de Cassation vient de déclarer qu’aucune extradition vers le Rwanda n’est possible, car la loi rwandaise sur le génocide (1996) est postérieure à 1994. Oubliant qu’en 1975 le Rwanda a ratifié la convention sur le génocide de 1948, oubliant que le crime de génocide est un crime reconnu en droit international coutumier et que son interdiction est considérée comme une norme de jus cogens[2], oubliant enfin que le TPIR a jugé une soixantaine de Rwandais sur la base d’un statut pourtant créé après le génocide des Tutsi !

La justice doit être rendue au nom du peuple, devant le peuple. Et le peuple qui a besoin de ces procès, c'est le peuple rwandais, les victimes du génocide en premier lieu, mais également les plus jeunes, qui sont l’avenir du Rwanda.

Enfants rwandais lors de la cérémonie d’ouverture de Kwibuka20 à Huye, Rwanda (Source Kwibuka20)

A lire :
Alain Frilet et Sylvie Coma,  Paris, terre d’asile de luxe pour dignitaires hutus, Libération, 18 mai 1994.
Alain Frilet, Kigali, l’enfer de la Sainte Famille, Libération, 17 juin 1994.
Alain Frilet, Un prêtre rwandais accusé de complicité dans le génocide, Libération, 20 juin 1995
Africa Rights, Le boucher de Tumba, mars 1996.
Minna Kimpimäki, Genocide in Rwanda - Is It Really Finland's Concern? International Criminal Law Review, Volume 11, Issue 1, pages 155-176, 2011.
Maria Malagardis, Sur la piste des tueurs rwandais, Flammarion, 2012.
Maria Malagardis, Quinze jours dans la vie de madame, Revue XXI, Printemps 2010.
Génocide rwandais, des tueurs sont-ils parmi nous ? Elle, 26 novembre 2012.
Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier, En finir avec la palinodie judiciaire, Libération, 6 avril 2009.

Sur le blog Kagatama :





[1] « Je suis révisionniste car quand l'histoire est truquée, il faut la réviser », Pierre Péan, L'Express, 1 décembre 2005.
[2] Le jus cogens se définit comme l'ensemble des « normes impératives du droit international général » au sens de l'article 53 de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités. Il accrédite l’existence d'un « ordre public international » qui procèderait d’une « communauté internationale » au plein sens du terme.