11/10/2008

Le jour où le Rwanda est devenu un pays uniquement anglophone.

En plus du kinyarwanda, sa langue maternelle, mon grand-père me disait qu'il parlait couramment le français, l'allemand, l'anglais, le kiswahili et bien entendu le latin. Sa fonction de sous-chef l'avait, selon lui, amené à étudier toutes ces langues. Face à l'incrédulité de mes copines de l'école primaire, je les emmenais devant mon grand-père, qui en rechignant un peu pour la forme, s'exécutait et faisait une démonstration de son talent polyglotte. Elles repartaient ébahies, et moi j'étais très fière. Quelques années plus tard, je me rendis compte que mon espiègle grand-père parlait et écrivait magnifiquement bien le kinyarwanda cette langue métaphorique et complexe dont il m'aida à acquérir toutes les nuances, par contre, pour le français, l'anglais et le kiswahili, j'ai trouvé plus sage de m'en remettre à mes professeurs !

A leur arrivée au Rwanda, les allemands n'ont pas imposé l'allemand. Ils ont utilisé comme langue de communication, le kiswahili, la langue de Zanzibar, beaucoup plus accessible que le kinyarwanda. Plusieurs interprètes rwandais ont été formés à cet effet, et le Mwami Musinga apprit cette langue qui a quelques similitudes avec le kinyarwanda. Après la première guerre mondiale, la langue française a été introduite par le nouveau colonisateur, la Belgique. Les Pères Blancs qui étaient déjà au Rwanda depuis une quinzaine d'années, étaient en majorité francophones, ils se sont chargés de l'enseignement du français. C'est ainsi que le Rwanda est entré dans le monde francophone, celui qui a
«le français en partage». Mais la francophonie, c'est plus que cela. La francophonie, pour certains pays, c'est un combat, un combat contre l'anglophonie dominante. Du combat à la guerre, il n'y a qu'un pas, un pas qu'ont franchi les politiciens français des années 1990 qui ont vu dans l'attaque du FPR contre le régime d'Habyarimana, une guerre de combattants anglophones venus d'Ouganda contre un pays membre du pré-carré francophone de la France, ce qui a légitimé à leurs yeux un soutien inconditionnel au dictateur Habyarimana [1].

Après le génocide des Tutsi, et l'arrivée de rwandais anglophones, le Rwanda a essayé de rester consensuel et d'enseigner aussi bien en français qu'en anglais. Des classes d'études de mise à niveau pour les francophones et les anglophones ont vu le jour dans toutes les universités. Aujourd'hui on constate que cette politique du bilinguisme universitaire n'a pas tenu toutes ses promesses. Beaucoup trop d'étudiants qui sortent de l'université ne maîtri
sent parfaitement aucune des deux langues. Communiquer c'est la base de l'enseignement, nos enfants ont la chance de vivre dans un pays capable de dispenser un enseignement dans deux langues parmi les plus importantes du monde, le français et l'anglais, il faut faire fructifier cette richesse, et donner plus de moyens à ce projet ambitieux.

Mais au contraire, la ministre de l'éducation nationale, Mme Daphrose Gahakwa vient de déclarer que «l'enseignement secondaire et universitaire sera désormais dispensé exclusivement en anglais au Rwanda» parce que «c'est l'une des démarches qui permettront au Rwanda d'adhérer prochainement à l'organisation du Commonwealth»(source AFP).

C'est énorme ! La majorité des enseignants rwandais sont francophones et incapables d'enseigner en anglais («sessions de cours d'anglais obligatoires» ou pas) et seulement 1,8% des Rwandais parlent aujourd'hui l'anglais, «la langue française quoique peu parlée également est tout de même plus équitablement distribuée sur l'ensemble du territoire national» d'après un rapport du gouvernement rwandais (source recensement général de la population du Rwanda-2002).

Le Rwanda a la chance unique dans la région, d'avoir des ingénieurs, des professeurs d'université, des chercheurs aussi bien anglophones que francophones. Beaucoup ont été formés dans les meilleures universités du monde. Des francophones rwandais sont venus par milliers du Burundi, du Congo, de Belgique, d'Afrique de l'Ouest, du Québec, de France, de Suisse, s'ajouter à ceux qui vivaient au Rwanda. Beaucoup d'entre eux sont venus pour enseigner. Doit-on leur signifier qu'ils sont désormais inutiles ?

Est-ce vraiment raisonnable de prendre une décision aussi cruciale pour l'avenir du Rwanda, sans que le peuple, via ses députés et sénateurs, ne soit consulté ? Sans qu'un débat national n'ait lieu ? Est-ce que la coalition menée par le FPR a présenté ce programme radical à ses électeurs avant les dernières élections législatives ? L'adhésion au Commonwealth est-elle si importante pour le Rwanda pour qu'une telle décision soit prise dans la précipitation et l'absence totale de consultation ? Est-ce que cette décision ne pourrait pas
être perçue comme favorisant les Rwandais anglophones ?

J'espère que le Rwanda n'aura pas un jour l'ambition d'adhérer à la CPLP, la
Comunidade dos Países de Língua Portuguesa...

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Mise à jour : Fuyant la réforme scolaire, des élèves quittent le pays par Albert-Baudoin Twizeyimana (7 aout 2009, Agence Syfia)


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Nota : les photographies de Gilles Tordjeman sont tirées du livre Rwanda Nziza aux éditions Sépia/Urukundo.
Lire l'article "Rwanda to switch from French to English in schools" de Chris McGreal dans le journal anglais The Guardian, 14 octobre 2008.

[1]
«Le syndrome entier, que par commodité nous pourrions appeler le "syndrome de Fachoda", fait encore partie intégrante de la pensée politique française contemporaine. Et cette raison principale, cette seule raison, a conduit Paris à s'engager si rapidement et si profondément dans la crise rwandaise.» Rwanda, le génocide, page 133, éd.Dagorno, Gérard Prunier.