03/11/2008

Rwanda : « Le tortionnaire » a été arrêté.

Son nom faisait peur. Son surnom encore plus. « Le tortionnaire » comme tout Kigali l’appelait, avait gagné son surnom à cause du plaisir sadique qu’il trouvait à assister aux tortures dont peu de Rwandais sont sortis vivants. Le capitaine Pascal Simbikangwa redoublait de zèle dans son travail de chef des renseignements militaires et de la criminologie à la présidence du général Juvénal Habyarimana. Il pouvait déclarer « suspect » des dizaines de Rwandais accusés du seul «crime» d’avoir critiqué son patron, le général Habyarimana ou d’avoir la mention ethnique «Tutsi» non barrée sur leur carte d’identité et de s’être trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.

Le capitaine Pascal Simbikangwa est une célébrité. Christophe Mfizi nous dit dans son rapport « Le réseau zéro, fossoyeur de la démocratie et de la république au Rwanda (1975-1994) », comment « le redoutable capitaine Pascal Simbikangwa » l’a menaçé. Filip Reyntjens dans une note déposée comme preuve dans l’affaire Rutaganda (TPIR) le présente comme un membre des «escadrons de la mort» . Il était connu en particulier pour exécuter les ordres de son beau-frère, le colonel Elie Sagatwa membre éminent de l'Akazu[1]. Le 27 mars 1992, l’ambassadeur de Belgique au Rwanda, Johan Swinnen le désigne, dans un télex adressé à son ministre de tutelle Willy Claes, comme étant membre d’un « état-major secret chargé de l’extermination des Tutsis du Rwanda afin de résoudre définitivement, à leur manière, le problème ethnique au Rwanda et d’écraser l’opposition hutue intérieure» (Commission d'enquête parlementaire concernant les évènements du Rwand-Sénat de Belgique). Le «Rapport de la commission internationale d'enquête sur les violations des droits de l'homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990 (7-21 janvier 1993)» évoque le capitaine Simbikangwa comme un tortionnaire. L’ONG américaine Human Right Watch rapporte dans son bilan de l’année 1993 au Rwanda que Monique Mujawamariya, une militante rwandaise des droits de l’homme « a été menacée de mort par le Capt. Pascal Simbikangwa connu pour avoir torturé plusieurs personnes détenues par les services secrets [2] ». Les auteurs de l’excellent ouvrage «Les médias du génocide » nous racontent l’épisode de la création du journal « L’indomptable Ikinani»[3] par Pascal Simbikangwa. Ce journal trop haineux sera retiré de la vente à la demande de feu Agathe Uwilingiyimana alors premier ministre. Toujours dans le même livre on trouve une caricature le montrant en train de torturer le journaliste Boniface Ntawuyirushintege, rédacteur en chef d'un journal d'opposition (sur cet évènement lire le rapport d'Eric Gillet et André Jadoul pour le CRDDR, page 21). Le 23 mars 1994, Joseph Kavaruganda, président de la cour de cassation, alertait le président Habyarimana sur les menaces de mort du capitaine Pascal Simbikangwa à son encontre. Joseph Kavaruganda sera assassiné 18 jours plus tard, le 7 avril 1994, par des membres de la garde présidentielle (courrier de Joseph Kavaruganda, 23/03/94).

« Le tortionnaire » s’est même cru touché par la grâce de l’écriture, il a publié deux livres « L’homme et sa croix » (1989) et « La guerre d’octobre » (1991). Si on reste sur sa faim au niveau littérature, on peut découvrir plusieurs aspects intéressants de sa personnalité grâce à son premier livre : « un pistolet 9mm dont j’allais bientôt maîtriser les secrets, une mitraillette Uzi qui commençait à me devenir un compagnon de choix, débarquer ou embarquer dans une voiture roulant à grande vitesse avec possibilité de me recueillir et me défendre aisément, et ma volonté farouche des VIP, tout cela me faisait revivre les temps héroïques de mes ancêtres.» […] « Je suis né guerrier et je devrais le rester tant que je vivrais, car cette lutte, ce combat sans merci que la survie (sic), je la mène avec détermination et dans un idéal de toujours chercher à mieux faire. Je suis donc guerrier et je ne le suis d’ailleurs que trop car dans l’acceptation de ma vie où je dois faire preuve de mon sang froid, de courage exceptionnel aux yeux de l’environnement qui ne cesse de s’en étonner malgré ce terrible 28 juillet 1986 [4]»[...] «Dans une soirée, un mec de la 3ème année est venu à côté de mon lit et dit : - Mais toi tu as un nez de «fallacha»![5]Heureusement que j'étais encore de ce sang inarrrêtable ! J'ai tout de suite piqué une colère de buffle. Il a dû avaler deux hypercutes qui l'ont rendu si impuissant qu'il est devenu par après mon grand copain ! On ne nait jamais nerveux, on le devient.»
Dans son acte d’accusation publié le 3 mars 2008, le procureur général du Rwanda l’accuse de «génocide, complicité de génocide, complot de génocide, assassinat et extermination », pour des actes qu’il aurait commis à Kigali et à Gisenyi à partir d’avril 1994.


«L'inarrrêtable» capitaine Pascal Simbikangwa a été arrêté le 28 octobre 2008 à Mayotte, France. C'est en 2005 qu'il décida de séjourner en France, auparavant il vivait en République fédérale islamique des Comores. Un pays où le frère d’Agathe Habyarimana, Séraphin Rwabukumba (il est accusé par plusieurs sources d’être membre du réseau zéro) a longtemps vécu et où il fait des affaires. Au vu de son handicap, on a longtemps cru que Pascal Simbikangwa n'avait pas survécu aux rigueurs des camps du Zaïre, c'est peut-être pour cela que son nom n'a pas fait partie des premiers actes d'accusations du TPIR. Il faut dire également que «le tortionnaire» avait pris le soin de vivre sous une fausse identité : Safari Sedinawara.

Lorsqu’on s’appelle Pascal Simbikangwa et qu’on est recherché par Interpol, est-ce judicieux de choisir la France « pays-des-droits-de-l’homme » plutôt que la République fédérale islamique des Comores plus connue pour ses coups d’états et sa corruption que pour sa démocratie ? Curieusement, oui. La France est très attractive pour les Rwandais accusés de génocide, c’est le pays au monde ayant sur son sol le plus grand nombre (12) de Rwandais accusés de génocide[6] (en dehors du Rwanda), dont 10 recherchés par Interpol[7]. Tous ces Rwandais sont libres, aucun n'a été jugé et toutes les demandes d'extradition vers le Rwanda ont été refusées par les tribunaux français, à l’exception d’une seule autorisée par la Cour d’Appel de Chambéry mais ensuite cassée par la Cour de Cassation le 9 juillet 2008 (Affaire Claver Kamana). La France a en outre été condamnée le 8 juin 2004 par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour n'avoir pas jugé dans un délai raisonnable un Rwandais accusé de génocide. Plus de quatre ans après cette condamnation Wenceslas Munyeshyaka est encore très loin du box des accusés d'une Cour d’assise


Le capitaine Pascal Simbikanwgwa sera jugé en France, il n’y a aucun doute, mais il sera jugé pour....trafic de faux papiers, pas pour «génocide». Etre accusé de génocide, crime contre l'humanité, torture, viol, meurtre contre des Rwandais au Rwanda, n’empêche nullement de vivre paisiblement en France avec ou sans papiers. Plusieurs rwandais [8] accusés de génocide ont vu ainsi leur demande d’asile politique refusée par la commission de recours des réfugiés au motif « qu’il y a des raisons sérieuses de penser que X s’est rendu coupable d’un crime au sens de l’article 1er F, de l’article premier de la convention de Genève, et notamment d’un crime contre l’humanité » mais curieusement cela ne les empêche pas de résider et de travailler en France. Par contre, favoriser l'immigration clandestine en confectionnant des faux papiers cela ne pardonne pas au « pays-des-droits-de-l'homme ». « Le tortionnaire » va méditer longtemps son erreur, il risque 10 ans de prison pour cette infraction.


Malheureusement, ses victimes rwandaises n'auront pas encore la satisfaction de le voir devant un tribunal qui le jugerait pour «génocide». C’est dommage, car le procureur français aurait pu appeler à la barre Bill Clinton qui, le 30 avril 1994, lorsqu’il était président des Etats-Unis d’Amérique, avait appelé les leaders rwandaisà plus d'humanité ("to recognize their common bonds of humanity") sur la radio Voice of America (diffusée au Rwanda). Son National Secretary Advisor, Antony Lake, avait préalablement fait cette déclaration à la Maison Blanche, le 22 avril 1994: 

«We call on the leadership of Rwanda Army Forces, including Army-Commander in Chief Col. Augustin Bizimungu, Col Nkundiye, Capt Pascal Simbikangwa and Col. Bagosora, to do everything in their power to end the violence immediately».[9]

MISE A JOUR : Pascal Simbikangwa, premier Rwandais renvoyé devant les assises en France (source TV5). Le procès d'assises de Pascal Simbikangwa se tiendra du 4 février au 28 mars 2014.

NOTA: La caricature publiée dans le journal Umurangi le 10 février 1992 est reproduite dans le livre «Les médias du génocide», page 41, Editions Karthala, Jean-Pierre Chrétien (sous la direction) . Les photographies représentant Pascal Simbikangwa avant et après son accident de voiture sont des copies de son livre «L'homme et sa croix», éditions de l’Imprisco, déc. 1989.
Pour les rwandophones, lire l'article du journal Izuba : Kapiteni Simbikangwa yatawe muri yombi

1 Akazu : petite maison en kinyarwanda, mot désignant un cercle restreint composé de personnes proches du couple présidentiel qui exerçaient le pouvoir réel au Rwanda à l’époque du général Juvénal Habyarimana.
2 She [Monique Mujawamariya] was threatened with death by Capt. Pascal Simbikangwa, known to have tortured many persons detained by the secret police.
3 Ikinani : qui signifie l'invicible c'était le surnom des supporters du général Juvénal Habyarimana.
4 Il fait allusion au jour de l'accident de voiture qui l'a rendu paralysé. L’homme et sa croix, éditions de l’Imprisco, déc. 1989, pages 95, 111 et 114.

5 Les Tutsi étaient parfois surnommés ainsi par les extrêmistes Hutu en références aux juifs éthiopiens. Ils étaient également supposés avoir un nez plus long que les Hutu.
6 Marcel Bivugabagabo, Laurent Bucyibaruta, Isaac Kamali, Claver Kamana, Agathe Kanziga, Cyprien Kayumba, Stanislas Mbonampeka, Sosthène Munyemana, Wenceslas Munyeshyaka, Laurent Serubuga, Pascal Simbikangwa et Pierre Tegera. Voir le site du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda.