25/11/2009

La France a-t-elle enfin entendu nos cris ?

(Photo : J.F. Dupaquier, source Rue89)

Roza, iyi nyandiko ndayigutuye

Rose Rwanga, ce billet t’est dédié.

Cela fait 15 ans que nous, les rescapés du génocide des Tutsi, informons les autorités judiciaires françaises de la présence en France de Rwandais suspectés de génocide. Pendant 15 ans, le ministère de la justice du pays-des-droits-de-l’homme est resté sourd à nos appels. Suite à cette inertie, il n’y a jamais eu autant de Rwandais accusés de génocide vivant en France. Au moment où la France n’hésite pas à renvoyer des Afghans dans leur pays en guerre, l’impunité incroyable dont ces Rwandais bénéficient étonne, et provoque un appel d’air pour leurs camarades dans le monde entier. Alors forcément, avec l’avènement d’internet dans tous les foyers, les citoyens français finissent par réaliser qu’ils croisent au travail des individus rwandais recherchés par Interpol.

Une infirmière de Maubeuge s’est aperçue que son médecin du travail, Eugène Rwamucyo, était recherché pour génocide par Interpol, avec le soutien de son syndicat, elle s'est confiée à la journaliste, Catherine Simon du Monde. La machine médiatique s’est emballée dans un week-end et la France s’est réveillée le lundi avec l’angoisse de voir des Rwandais recherchés par Interpol partout ! Ceux-ci sont très à l’aise et très bien introduits dans le microcosme français. Arrivé de Côte d’Ivoire, Eugène Rwamucyo, vivait chez son épouse à Anderlues, en Belgique, mais travaillait en France où le directeur de cabinet du ministre de l’intérieur de Sarkozy, Claude Guéan, lui avait gentiment obtenu un titre de travail. Cette affaire très embarrassante de protection au plus haut niveau de l’État français, a finalement abouti à l’annonce par la ministre de la Justice, de la création d’un pôle judiciaire « génocide et crime contre l’humanité ». Espérons que ce projet ne restera pas à l’état d’annonce. Cela fait 15 ans que le problème existe et que les victimes du génocide des Tutsi, les ONG, les associations de droit de l’homme, réclament la création de ce pôle.

Sur le site d’Interpol, on trouve la liste complète des Rwandais recherchés pour génocide par le Rwanda, 11 vivent en France. Le C.P.C.R (Collectif des Parties Civiles du Rwanda) a déposé plainte contre ces onze rwandais, mais aussi contre quatre autres, dont Agathe Kanziga, veuve Habyarimana. A ce jour, le Rwanda n’a curieusement ni publié un acte d’accusation, ni lancé un mandat d’arrêt contre elle.15 Rwandais vivant en France sont donc visés au total. Par manque de volonté politique, aucune enquête sérieuse n’a encore débuté en France dans la majorité de ces affaires. Pourtant un espoir vient de voir le jour puisque les juges Pous et Ganascia se sont rendues au Rwanda le 21 novembre dernier pour enquêter sur quatre affaires. En octobre elles avaient rencontré le Procureur du TPIR à Arusha pour qu'il lui communique des éléments de preuve contre certains Rwandais vivant en France. Il est vraisemblable que cette enquête concerne entre autres Wenceslas Munyeshyaka et Laurent Bucyibaruta. Ces deux affaires sont à part puisque ces deux hommes sont, en plus, inculpés par le T.P.I.R qui s’est dessaisi au profit de la France, suivant son Règlement de Procédure et de Preuve (art.11bis). Le Procureur du T.P.I.R a élevé la voix récemment pour se plaindre de l’inertie de la justice française. Rappelons que la France a été condamnée le 8 juin 2004 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour n’avoir pas jugé Wenceslas Munyeshyaka dans un délai raisonnable. En vain. Le temps fait donc son travail. Rose Rwanga, une des principaux témoins contre Wenceslas Munyeshyaka, vient de mourir sans avoir eu le soulagement de pouvoir un jour témoigner contre celui qu’elle accusait depuis 1994 d’avoir donné l’ordre de tuer sa fille Hyacinthe. Le soulagement est par contre du côté de Wenceslas Munyeshyaka.

Nul doute que les juges vont s’intéresser au cas du capitaine Simbikangwa. Colette Braeckman vient de nous apprendre qu’il a été transferré en métropole afin de faciliter l’enquête sur son implication présumée dans le génocide. Le capitaine Simbikangwa à qui le président Clinton s’était adressé le 22 avril 1994 pour exiger la fin des massacres, a été « découvert » à Mayotte tout à fait par hasard, le 28 octobre 2008, par la police française qui enquêtait sur un trafic de faux papiers. Ce serait grâce à un policier un peu plus curieux que les autres, que la police de Mayotte aurait appris qu’il était recherché par Interpol. C’est une bien jolie histoire, une histoire reprise en cœur par tous les journalistes français, mais une histoire fausse. La police française et les renseignements généraux connaissaient bien entendu la présence de ce demandeur d’asile sur le territoire français. Si le capitaine Simbikangwa était resté calmement à Mayotte en tenant un bistrot de quartier plutôt que de se lancer dans la confection industrielle de faux papiers (plusieurs milliers tout de même !) il y aurait fini ses jours sans être dérangé par la justice française.

En Europe, vivent des Rwandais accusés de génocide, d’autres dirigent politiquement un groupe armé qui fait des ravages au Congo les F.D.L.R (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda), composé surtout de gens qui ont commis le génocide, mais pas seulement. Le chef politique de ce mouvement, Ignace Murwanashyaka, et son ajdoint, Straton Musoni, viennent d’être arrêtés en Allemagne. Ils sont accusés de crimes de guerre et crimes contre l'humanité pour des actes commis en R.D.C après le génocide des Tutsi au Rwanda. Mais, le secrétaire exécutif de cette organisation terroriste (selon la C.I.A), Callixte Mbarushimana vit lui en France où il a obtenu l’asile politique. Cet homme est en plus, également accusé de génocide au Rwanda par de nombreux rescapés. Il vient de déclarer qu’il se tient à la disposition de la justice française. Est-ce que la justice française s’interessera à lui ?

On peut se demander légitimement d’où vient cette mansuétude incompréhensible de la France pour des Rwandais accusés des pires crimes. Bien sûr, il faudrait revenir sur le soutien inconditionnel de la France à l’ancien chef d’État rwandais Juvénal Habyarimana, qui a organisé pendant des années un apartheid ethnique au Rwanda, sur le soutien militaire de la France pendant trois années aux forces armées rwandaises et aux miliciens Interahamwe qui ont commis un génocide contre les Tutsi et qui ont éliminé les Hutu opposés à l’extermination des Tutsi. Mais concernant le droit d’asile inconditionnel accordé à certains rwandais, tout a vraiment commencé le 9 avril 1994. Ce jour-là, avant même d’évacuer ses propres ressortissants, la France a envoyé vers Paris, Agathe Habyarimana, sa famille et ses proches. Dès son arrivée en France, dans son appartement parisien, Agathe Habyarimana a reçu un chèque de 200 000 F (30 500 Euros) du ministère de la coopération française pour « raisons humanitaires ». Puis elle a reçu des fleurs de la part de François Mitterrand. Oui, des fleurs. Au même moment, au Rwanda, la France abandonnait aux tueurs son personnel Tutsi menacé d’extermination, dans le même temps, les fidèles de Juvénal et Agathe Habyarimana étaient à l’oeuvre, décimaient nos familles. 15 ans après son arrivée en France, Agathe Habyarimana vient de voir sa bataille juridique close. La décision de l’O.F.P.R.A de lui refuser l’asile est désormais définitive. Ce refus avait été motivé parce qu'il y a « des raisons sérieuses de penser qu’Agathe Kanziga, veuve Habyarimana, a participé en tant qu'instigatrice ou complice à la commission du crime de génocide, entendu au sens des stipulations de l'article 1er , F, a) de la convention de Genève » . Sera-t-elle jugée à Paris ou va-t-elle opportunément retourner au Gabon, pays qui lui avait offert un passeport diplomatique ?

Après ce 9 avril, il y a eu le 12 avril 1994, ce jour là, la France a évacué vers le Burundi, puis le Congo, les 179 personnes réfugiées dans son ambassade, tous Hutu, tous proches du pouvoir, à quelques exceptions près. Parmi ces invités spéciaux : Ferdinand Nahimana qui a été condamné par le T.P.I.R pour le crime d’incitation directe et publique à commettre le génocide et pour persécution constitutive de crime contre l’humanité, d’autres sont en cours de procès devant le T.P.I.R (Casimir Bizimungu, Justin Mugenzi, Augustin Ngirabatware et Callixte Nzabonimana). Et puis, il y a ceux qui ont échappé à toute poursuite comme Eugène Mbarushimana, qui était pourtant le secrétaire général des Interahamwe. Il y a eu aussi l’Opération Turquoise et l’exfiltration de hauts cadres rwandais soupçonnés de génocide vers le Congo, comme le préfet Kayishema, condamné plus tard à la prison à vie pour génocide par le T.P.I.R. Si la France protège un Nahimana, un Kayishema ou un Mbarushimana, « pourquoi pas moi » se sont dits de nombreux rwandais impliqués dans le génocide.

C’est une longue histoire vraiment, une histoire à laquelle il est désormais temps de mettre un terme. Bon travail Mesdames Pous et Ganascia !

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Rose, je salue ton courage exceptionnel d’avoir témoigné, d’avoir dit comment cela s’est vraiment passé, comment les tiens ont été assassinés ce jour-là à l’église de la sainte famille. Nous sommes nombreux à emboîter ton pas, ton combat est le nôtre, ntabapfira gushira. Ikivi wateruye tuzagisoza. Iruhukire. [On ne peut pas faire disparaître tout le monde. Nous terminerons de labourer le champs que tu as commencé. Repose en paix.].

Références:

Rose Rwanga:

Justice en France :

Rwandais accusés de génocide vivant en France,

Eugène Rwamucyo

Agathe Kanziga, veuve Habyarimana:

    Callixte Mbarushimana et les FDLR :

      Capitaine Pascal Simbikangwa

        Wenceslas Munyeshyaka

          Laurent Bucyibaruta

            Eugène Mbarushimana :

              Sur le site Trial Watch, voir les fiches suivantes :

              22/08/2009

              Génocide à Kigali : l'ex-préfet de la capitale condamné.

              On imagine la scène [1]. Nous sommes le 11 juillet 2001 dans l’est de la République Démocratique du Congo, un camp de base animé, des cabanes en torchis, des kadogo tournoyant un peu partout aux ordres de soldats aux uniformes usés et, au milieu, deux hommes assis devant une bière tiède autour d’une table en planches. En chemisette bleue, en sueur, un ordinateur portable devant lui, l’étranger est ravi d'être là. Des hommes le regardent l'air béat, on chuchote, on se pousse du coude, on commente ses moindres gestes, la présence incongrue de cet umuzungu intrigue. Face à lui, un grand gaillard en uniforme, d'une cinquantaine d'années, équipé d’énormes lunettes, celles de l’intelligentsia rwandaise des années 1980-90. Il parle tranquillement. C’est le chef. Un des leader de l’A.L.I.R (Armée de Libération du Rwanda) un groupe armé composé d’anciens soldats rwandais des F.A.R (Forces Armées Rwandaises) et de miliciens Interahamwe, classé comme terroriste par les États-Unis[1], le groupe se rebaptisera la même année F.D.L.R (Front de Libération du Rwanda). Ces miliciens déstabilisent le Congo et la région des Grands Lacs depuis des années, se rendant coupables de nombreux crimes contre l’humanité. Au moment où il parle, cet ex-préfet de Kigali sait qu’il est un des fugitifs les plus recherché par le T.P.I.R (Tribunal pénal international pour le Rwanda) pour avoir participé au génocide des Tutsi, il sait que les U.S.A. ont offert une prime de 5 000 000$ à toute personne donnant des informations sur sa localisation. Tharcisse Renzaho[2] savoure son entretien.

              Un fugitif rwandais et un juge français au Congo.
              Son interlocuteur l’écoute avec gourmandise. Il prend des notes. Il pose des questions. Est-ce un journaliste ? Un mercenaire ? Un vendeur d’arme ? Pas du tout. Il s’agit d’un juge d’instruction français, le juge anti-terroriste Jean- Louis Bruguière. Celui qui enquête sur la mort des pilotes français de l'ex-président rwandais Habyarimana. Tharcisse Renzaho vient de lui dire que c’est le F.P.R (Front Patriotique Rwandais) qui a fait le coup. La preuve ? Suite aux accords de paix d’Arusha et à l’installation d’un bataillon du F.P.R au C.N.D (Conseil National de Développement/Assemblée Nationale), le F.P.R avait interdit le survol dudit C.N.D pour des mesures de sécurité, mais d’après Renzaho (Ordonnance de soit-communiqué, page 45), l'objectif véritable du F.P.R était d'obliger les avions à survoler « le secteur valonné (sic) et boisé de Masaka» d’où seraient partis les tirs de missiles (voir photo ci-dessous).

              M. Bruguière qui n'est jamais allé au Rwanda, ne sait pas que «le secteur vallonné et boisé de Masaka» n’était ni une forêt, ni même un bois[3]. Il n'a pas pu constater que la colline de Masaka était située tout près du camp militaire ultra-sécurisé de Kanombe, mais aussi d’une position de gendarmerie et à quelques centaines de mètres d'une zone densément peuplée. [4]. Un endroit où un commando du F.P.R serait difficilement passé inaperçu. [Voir la mise à jour ci-dessous]
              Peu importe. Jean-Louis Bruguière a ajouté le fugitif Tharcisse Renzaho à sa liste de « grands témoins », juste en dessous de Théoneste Bagosora et non loin d’Abdul Ruzibiza. Afin de recueillir des informations sur les missiles tirés à partir de la colline de Masaka, au Rwanda, M. Bruguière a choisi d'aller au Congo pour interroger un fugitif rwandais recherché par le T.P.I.R, c'est singulier. D'autres juges d'instruction, auraient enquêté au Rwanda, mais Jean-Louis Bruguière n'est pas un juge comme les autres. Un an après, grâce à la prime de 5 000 000$, Tharcisse Renzaho sera arrêté par la police congolaise, le 26 septembre 2002, et remis au T.P.I.R où il sera jugé pour ses crimes.
              Le préfet qui organisait l'extermination des Tutsi.
              Au Rwanda, le colonel Tharcisse Renzaho n’avait pas tous les atouts pour être « un grand ». Au moment où il fallait être né à Gitarama dans les années 1960 et à Gisenyi dans les années 1970-90, il avait vu le jour dans la préfecture de Kibungo. Mais cet homme intelligent s’est vite fait remarqué. Parti étudier dans des écoles militaires en Allemagne, en France et en Belgique, il est revenu au Rwanda avec la formation d’ingénieur de guerre. Après une ascension rapide au sein du parti unique M.R.N.D, il deviendra le tout puissant préfet de la ville de Kigali juste après l’attaque du F.P.R du 1er octobre 1990. Redouté, il participera dès le 5 octobre à la grande rafle de Tutsi (essentiellement les Tutsi considérés comme intellectuels ou aisés), suspectés de complicité avec le F.PR.Certains Hutu accusés d'opposition au régime furent également raflés. Selon l'ambassadeur américain Robert Flatten, et d'autres sources, plus de 8000 personnes furent arrêtées en trois jours.
              Je me souviens que ce funeste 5 octobre 1990, des militaires excités, guidés par nos voisins, ont fouillé de fond en comble notre maison. Ils nous ont braqué avec leur fusil, ont déchiré nos photos de famille, nous ont insulté, crâché dans la figure, humilié, menacé de mort. Ils cherchaient des armes... Nous vivions là avec ma mère, ma petite soeur et ma grand-mère. Le cousin de ma mère, Kamanzi, fut embarqué dans leur camion, ma mère, une institutrice, échappa de justesse à la rafle. Mais tous ses collègues Tutsi furent arrêtés. Au même moment, dans la capitale, mon père et mon oncle étaient arrêtés et emmenés au stade Nyamirambo. Ces milliers de gens, arbitrairement arrêtés sont restés dans ce stade pendant quelques jours sans boire ni manger, subissant toutes les humiliations possibles. Ils furent ensuite transférés à la prison centrale de Kigali. Mon père y est resté six mois. Très peu en sont ressortis indemnes, beaucoup furent exécutés. Puis ce fut le génocide.

              Quelle est la fonction d’un préfet de la République en temps de paix? Veiller à l’ordre public et à la sécurité de ses concitoyens. Et que fait-il lorsqu’un génocide est planifié par l’Etat ? Il l’organise ou il démissionne. Tharcisse Renzaho n'a pas démissionné. Il a été reconnu coupable (Jugement Renzaho, 14 juillet 2009) d'avoir soutenu sur les ondes de Radio Rwanda, et durant des réunions officielles avec les fonctionnaires de la ville, les massacres de civils Tutsi aux multiples barrages dressés dans Kigali, d'avoir distribué des armes aux miliciens Interahamwe dans le but de tuer des Tutsi et d'avoir encouragé le viol des femmes Tutsi . Et lorsque cela coinçait quelque part, il intervenait en personne.
              Cela coinçait à l’église de la St. Famille, au Centre des Études de Langues Africaine (C.E.L.A) et au Centre pastoral St. Paul, un vaste ensemble de bâtiments qui se trouve au centre de Kigali, juste à côté de l’axe principal de la ville. Plusieurs milliers de personnes s’y étaient réfugiés. Les militaires de la M.I.N.U.A.R passaient régulièrement, souvent accompagnés de journalistes occidentaux. Les Interahamwe ne pouvaient pas y « travailler » tranquillement. Tharcisse Renzaho a été reconnu coupable d'avoir ordonné l'assassinat de 40 civils Tutsi au C.E.L.A, dont Charles Rwanga et ses enfants Wilson et Déglote, c'était le 22 avril 1994; d'avoir ordonné l'assassinat de 40 ou 50 Tutsi au centre Saint-Paul, c'était le 14 juin 1994; et enfin d'avoir ordonné l'assassinat de plus de 100 Tutsi à l'église de la Sainte-Famille, c'était le 17 juin 1994. Tharcisse Renzaho a été condamné le 14 juillet 2009 à la prison à vie par le T.P.I.R, pour « génocide, meurtre et viol en tant que crime contre l’humanité, et meurtre et viol en tant que crime de guerre». Lors des 49 jours du procès de Tharcisse Renzaho, parmi les 53 témoins, qui sont venus témoigner, un nom, en plus de celui de l'accusé, est revenu souvent, celui d'un prêtre : Wenceslas Munyeshyaka.
              Un curieux homme d'église.
              Le 17 juin 1994, le jour même du grand massacre de l'église de la Sainte-Famille, Libération publiait un long article d'Alain Frilet Kigali, l'enfer de l'église Sainte-Famille. Le journaliste évoque le massacre précédent du 14 juin 1994 et fait le portrait de Wenceslas Munyeshyaka, un «curieux homme d'église pistolet à la ceinture et gilet pare-balles» qui avait autorisé «comme d'habitude» les miliciens à rentrer dans son église pour y chercher des Tutsi à exécuter.

              Réfugié en France depuis septembre 1994, l’abbé Wenceslas Munyeshyaka est rentré dans l’histoire de la justice internationale, catégorie impunité. Après sa mise en examen dès 1995 par un juge d’instruction français pour « génocide, complicité de génocide, torture, mauvais traitements et actes inhumains et dégradants», son inculpation (d'abord secrète) le 20 juillet 2005 par Hassan Jallow, Procureur du T.P.I.R, pour « génocide et crime contre l'humanité (viol, extermination et assassinat) », l’émission d’un mandat d’arrêt international du même procureur le 21 juillet 2007, sa condamnation par contumace le 16 novembre 2006 par la Cour militaire de Kigali à la prison à vie pour « génocide et viol », le 14 juillet 2009 une Chambre de première instance du T.P.I.R a noté qu'au vu des éléments de preuve présentés dans l'affaire Renzaho, il y a des preuves que Munyeshyaka était présent à l'église de la Sainte-Famille pendant les attaques et qu'il y a apporté de l'aide [provided some assistance] [6].


              Les juges Møse, Egorov et Arrey ont entendu le témoignage de Corinne Dufka (audience du 30/01/07). Cette journaliste américaine a raconté comment, le 20 mai 1994, au moment où Kigali était un enfer, Wenceslas Munyeshyaka l'a conduite dans sa camionnette blanche, à 15 minutes de son église, pour lui montrer un grand barrage tenu par des Interahamwe. Elle a expliqué que, à la vue du prêtre, les miliciens ouvraient sans aucune difficulté leurs check points, que, c'est grâce à l'intervention de Wenceslas Munyeshyaka que les miliciens l'ont autorisée à prendre des photographies. Devant les trois juges du T.P.I.R, la journaliste s'est remémorée, comment Wenceslas Munyeshyaka l'a introduite auprès d'une de ses connaissances...Robert Kajuga, le chef des miliciens Interahamwe de Kigali ! Autour d'eux des miliciens puant l'alcool sautillaient tout excités en criant, armés de kalachnikov, de machettes, de gourdins cloutés, l'un d'eux s'amusant avec la goupille de sa grenade. Les juges ont donc logiquement conclu que Wenceslas Munyeshyaka avait de bonnes relations de travail avec les Interahamwe. [6] Le même père Wenceslas déclarait en février 1995 sur France 3, face à Jean-Louis Nyilinkwaya dont une partie de sa famille s'était réfugiée à la St. Famille : « je risquais beaucoup ma vie, j'avais vraiment trop de menaces, je n'ai jamais eu de bonnes relations avec les miliciens ».
              «La volonté de la France de coopérer pleinement avec la justice internationale ».
              Il y a cinq ans, le 8 juin 2004, la France fut condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Le camouflet des juges européens, L'Humanité, 14/06/04) pour n’avoir pas jugé Wenceslas Munyeshyaka dans «un délai raisonnable », le 19 juillet 2006 Laurent Le Mesle, directeur de cabinet du Ministre français de la justice donna son accord au Procureur du T.P.I.R pour « se saisir des faits objets des procédures suivies par le tribunal pénal international pour le Rwanda à l’encontre de Laurent Bucyibaruta et Wenceslas Munyeshyaka », le 20 novembre 2007 trois juges du T.P.I.R acceptèrent officiellement le désaissisement du TPIR au profit de la France. Interrogé sur l’avancement du dossier, un an et demi après ce transfert, Hassan Jallow déclarait laconiquement : « rien à signaler jusqu’à présent », en écho le porte-parole du ministère français de la justice tentait de rassurer les sceptiques, et insistait sur : « la volonté de la France de coopérer pleinement avec la justice internationale ».15 ans après la première plainte contre Wenceslas Munyeshyaka pour génocide, Jean-François Dupaquier, demandait dans une tribune publiée dans Le Monde, que la France en finisse avec «la palinodie judiciaire». Mais Wenceslas Munyeshyaka n’a pas cassé de caténaires de la S.N.C.F, et il a ses papiers. Il vit donc en liberté, à Gisors, la capitale du Vexin Normand près d’Evreux, où l’Église de France lui a demandé, en tant que prêtre, de veiller sur les âmes des scouts locaux et sur celles des paroissiens de cette paisible ville normande.

              Après la condamnation de Tharcisse Renzaho à la prison à vie, son avocat a fait cette étrange déclaration : «Concernant les viols, Renzaho est chrétien ; il n’a jamais souhaité que des viols soient commis dans sa préfecture »[7]. Le chrétien Renzaho aura au moins la satisfaction de passer le restant de sa vie entouré de l'abbé Athanase Seromba et, si sa peine est confirmée en appel, du père Emmanuel Rukundo, condamnés comme lui par le T.P.I.R pour génocide.

              MISE A JOUR : Grâce au rapport Mutsinzi et à l'étude balistique de l'université de Cranfield, on sait désormais que le tir de missile ne pouvait provenir que du camp militaire de Kanombe. Le dépôt d'un missile vide sur la colline de Masaka n'était qu'une mise en scène de ceux qui ont commis l'attentat : les FAR. Lire notamment Le Carnet de Colette Braeckam : Qui a tué Habyarimana ? Les Rwandais ont mené l'enquête.




              Photographies :
              1/ L'église de la St. Famille, Kigali, 2006 (photo Kagatama).2/ Le porte-parole des F.D.L.R, le lieutenant-colonel Edmond Ngarambe, le 26 novembre 2008 à Lushebere (R.D.C)- (source : AFP/Tony Karumba) 3/Bas-fond au pied de la colline de Masaka d’où auraient été tirés les missiles selon C. Braeckman et Ph. Reyntjens. (Source : P. Jamagne, mai 2007) « Rwanda. L’histoire secrète » de Abdul Joshua Ruzibiza ou Mensonges made in France ? », Pierre Jamagne, 7 avril 2008. 4/Jean-Louis Bruguière, initié dans la confrérie du vin de Cahors, (source La dépêche). 5/ Tharcisse Renzaho lors de son procès (source Trial Watch). 6/ Photographie de Corrine Dufka, prise le 20 mai 1994, lors de son reportage guidée par W. Munyeshyaka. 7/ Wenceslas Munyeshyaka pistolet à la ceinture et micro à la main à Kigali devant l’église de la St. Famille pendant le génocide en 1994 (source : Rue89 et Interpol). 8/ Wenceslas Munyeshyaka photographié pour les besoins d’un appel au don sur son blog afin de financer « des frais nécessités pour la défense du père Wenceslas dans le cadre d'une instruction judiciaire en France. »




              [1] Il est indiqué dans l'ordonnance de soit-communiqué (p.45) du 17/11/2006 que la rencontre avec Tharcisse Renzaho, un des leaders des mouvements rebelles les plus virulents sévissant à l’est du Congo, et l'un des fugitifs parmi les plus recherchés par le T.P.I.R, s’est déroulée dans la capitale de la R.D.C à Kinshasa. Le Col. Aloys Ntiwiragabo, ex-chef des renseignements militaires des F.A.R devenu un des leaders des F.D.L.R, a été auditionné lors de la même commission rogatoire. Ces rencontres peuvent avoir eu lieu ailleurs qu’à Kinshasa, mais j'ai beaucoup d'imagination...
              [2] Ex-FAR/Interahamwe (formely Armed Forces of Rwanda). They [ the Armed Forces of Rwanda (FAR) and the Interahamwe] became known as the Army of the Liberation of Rwanda (ALIR), which is the armed branch of the PALIR or Party for the Liberation of Rwanda. In 2001, ALIR –while not formally disbanded- was supplanted by the Democratic Front for the Liberation of Rwanda (FDLR). Background Information on Other Terrorist Groups, U.S. Department of State.
              [3] He [Tharcisse Renzaho] is believed to be a leader of the Army for the Liberation of Rwanda (ALIR) and to have played a commanding role in the war that has gripped the Great Lakes region of Africa, Arrest of genocide suspect Renzaho. Statement by Richard Boucher, Spokeman of the U.S. Department of State, September 30, 2002.
              [4] Si Jean-Louis Bruguière s’était rendu au Rwanda il aurait pu constater que la conception européenne du « bois » n’a absolument rien à voir avec la rwandaise. Le Rwanda ayant été longtemps un pays dramatiquement déboisé, lorsqu’un rwandais parle d’un bois ou d’une zone boisée cela signifie qu’il y a plus de 10 arbres côtes à côtes. S'il était allé au Rwanda, il saurait que « le pays des mille collines » est une immense...« zone vallonnée » !
              [5] On sait d’où sont partis les missiles. Il s’agit des environs immédiats d’un endroit appelé « La Ferme », situé sur la piste reliant la colline de Masaka à la route principale Kigali-Rwamagana-Kibungo, « La Ferme » se trouve à quelques centaines de mètre à vol d’oiseau de cette dernière et à deux kilomètres à peine du camp militaire de Kanombe. La zone est densément peuplée. De nombreux civils et militaires proches du régime y habitent. De plus, à la bifurcation entre la route nationale et la piste de Masaka se trouve une position de la gendarmerie et des F.A.R. ». Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l’histoire, pages 23-24 , Filip Reyntjens, Cahiers Africains, 1995.
              [6] Les dépositions ne permettent pas à la Chambre de conclure au sujet du rôle exact joué par Munyeshyaka pendant l'attaque. Toutefois, elle note que, sur la base des éléments de preuve en l’espèce, il apparaît que Munyeshyaka se trouvait à Sainte-Famille pendant l'attaque et qu’il avait fourni de l’assistance. (les relations de travail entre le père Munyeshyaka et les Interahamwe ont été également évoquées dans le témoignage de Corinne Dufka au sujet des barrages). Jugement Renzaho, ICTR-97-31-T, 14 July 2009, page 210.
              [7]. Agence Hirondelle, 14/07/09. Violer serait donc moins chrétien que d’organiser un génocide ? Curieux. En 1994, 95% de la population rwandaise était chrétienne, parmi elle, un grand nombre s'est rendu coupable de génocide. Donc la majorité de ces bourreaux étaient des chrétiens.