07/04/2009

Le 7 avril 1994 au Rwanda, nous étions un million


Le 7 avril, je me souviens.

Oubliés parmi les morts, terrés dans une improbable cache, sauvés par un bon samaritain, épargnés par un tueur fatigué de tuer, rescapés par chance ou une arme à la main, nous sommes restés. Pareils à des grains de blé dans un champ moissonné, à des miettes après un repas. Nous sommes là. Nous sommes des arbres sans branches. Nous sommes quelque part, entre les morts et les vivants. Sans famille. De temps en temps, un 7 avril, on vient nous chercher. On nous demande de raconter. Alors on raconte. Et puis, on nous oublie.

Le 7 avril au Rwanda, les survivants du génocide sont importants.

Le 7 avril au Rwanda, on évite de tuer les survivants du génocide qui témoignent dans les Gacaca.

Le 7 avril à l'ONU, on répète : « Plus jamais ça ! » 

Le 7 avril aux Etats-Unis, on a depuis longtemps oublié le terme juridiquement non contraignant : « actes de génocide ».

Le 7 avril en Afrique, on compatit pour les Rwandais, mais on se souvient surtout du beau parcours du Nigéria pendant la coupe du monde 1994. 

Le 7 avril en France, c’est la saison des négationnistes. Ils sont invités sur les plateaux télé face à ceux qui ne sont pas fatigués de répéter qu’il y a eu un génocide au Rwanda. Ces « spécialistes », ces « enquêteurs » qui ne connaissent de mon pays que ce qu’en dit Google,  expliquent le sourire en coin que « cela ne s’est pas vraiment passé comme cela ». Que ce sont les Tutsi qui ont organisé le génocide des Tutsi, que des Tutsi déguisés en miliciens Hutu, exterminaient les Tutsi. Les Tutsi ? Une race de menteurs congénitaux. Et ils sont pris au sérieux.

Le 7 avril en France, personne ne remarque que le pays de Badinter a sur son sol le plus grand nombre de Rwandais suspectés de génocide. La France qui est aussi un des rares pays européen qui n’en ont jugé aucun. Ceci explique cela.

Le 7 avril en France, les rares journalistes qui s'intéressent au génocide des Tutsi, enquêtent, rapportent, informent ; et puis un jour, ils se taisent. Ils se taisent, car, comme l’a écrit Christophe Ayad, l’Afrique [vous] indiffère. Au printemps 1994, il n'y a qu'Ayrton Senna qui soit mort. 

Le 7 avril des citoyens français se rappellent scandalisés que pour le Président Mitterrand un génocide en Afrique ce n’est pas trop important, que pour le Premier ministre De Villepin le génocide des Tutsi devient les génocides du Rwanda.

Le 7 avril 1994 au Rwanda, nous étions un million. Trois mois plus tard nous n’étions plus. Tous les Tutsi du Rwanda devaient être tués. Et ils l’ont été.

On 7 April 1994 in Rwanda, there was one million us


On 7 April, I remember.

Forgotten among the dead, holed up in an unlikely hiding place, rescued by a Good Samaritan, spared by a killer who has had enough of killing, surviving by chance or weapon in hand, we stayed. Like wheat grains in a harvested field, like crumbs after a meal. We are here. We are trees without branches. We are somewhere between the living and the dead. With no families. Every so often, on 7 April, we are sought out. We are asked to tell our story. So we tell our story. And then, we fall into oblivion

On 7 April in Rwanda, survivors of genocide become important.

On 7 April in Rwanda, a conscious effort is made not to kill survivors of the genocide who testify before the Gacaca jurisdictions.

On 7 April at the United Nations, they repeat the maxim:  Never again! 

On 7 April in the United States, the term legally convenient term  acts of genocide is long forgotten.

On 7 April in Africa, there is a feeling of compassion for the people of Rwanda, but more importantly, this date conjures memories of Nigeria’s performance at the 1994 World Cup.

On 7 April in France, it is the prime time for revisionists. They are invited to appear on television along with those who are now tired of repeating that a genocide did occur in Rwanda. These so-called experts and investigators, who learned everything they know about my country on Google, explain with a smile that, that is not how it happened. According to them, it was Tutsi who planned the genocide of the Tutsi, Tutsi disguised as Hutu militiamen exterminated the Tutsi. The Tutsi? They are just a bunch of born liars. And these people are taken seriously.

On 7 April in France, no one seems to notice that France, which is home to Robert Badinter, has the biggest number of genocide suspects on its soil. France also happens to be among the few countries in Europe that are yet to prosecute a single genocide suspect. That explains it all.

On 7 April in France, the few journalists who show any interest in the genocide of the Tutsi, make inquiries, write reports, inform ; and then one day, they stop. The reason they stop is because, as Christophe Ayad wrote, "Africa makes you  indifferent" (l'Afrique [vous] indiffère). In the spring of 1994, no one named Ayrton Senna died. 

On 7 April, the French people remember, not without embarrassment, that for President Mitterrand,  genocide in Africa is not that important, that for Prime Minister De Villepin the genocide of the Tutsi is a matter for Rwanda. 

On 7 April 1994 in Rwanda, there was one million us. Three months after that, no one was left. All the Tutsi in Rwanda had to be killed. And they were.