03/12/2010

« An unfortunate incident » ou le lynchage du chauffeur routier Laurent Bizimungu au Kenya

Laurent Bizimungu est un chauffeur routier honnête et professionnel. Le 27 novembre, lors d’un transport au Kenya, il touche le rétroviseur d’un bus avec son camion, il s’arrête pour discuter naturellement de l’accrochage avec son homologue du bus. Celui-ci sort de son véhicule, sans un mot, il lui assène un violent coup de barre en fer sur la tête et, scène hallucinante, les passagers du car sortent à leur tour pour achever, à coups de pied, Laurent Bizimungu. Cet acte inimaginable, barbare contre un de nos concitoyens a eu lieu dans le pays qui se considère comme le plus moderne de la Communauté d’Afrique de l’Est.

Est-ce que le lynchage serait une coutume légale au Kenya ? Notre unique quotidien nous rapporte la réaction de l'ambassadeur du Rwanda au Kenya: « Bill Kayonga confirmed the incident describing it as “unfortunate”[1] ». Puis notre ambassadeur conseille simplement aux voyageurs rwandais de signaler les accidents routiers à la police et d'éviter de s’arrêter sur la route pour échapper à ce qui semble très courant sur les routes kenyanes : le lynchage... [mob justice]. Etonnamment, les mots « crime », « meurtre » ou « justice » ne sont pas prononcés. Nul doute que le fait que Laurent Bizimungu était un étranger a stimulé les assassins, pourtant, à ce jour les autorités kenyanes n’ont pas réagi officiellement à ce crime odieux.

Des associations comme African Right[2], des journalistes[3] (en particulier The Economist, Lynching in Kenya, a routine crime), ont depuis longtemps tiré la sonnette d’alarme contre les lynchages au Kenya, mais le gouvernment kenyan ne prend pas le problème au sérieux. Le 29 juillet 2009, M. Philip Alston, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a rendu un rapport très critique[4] sur le Kenya à l’Assemblée générale des Nations Unies, il constate qu’« il est fréquemment fait état de l’exécution de prétendues sorcières, de voleurs et d’autres personnes aux mains de la foule. »

L’assassin et ses complices, les passagers du car, doivent être jugés et condamnés sévèrement. Il faut que nos représentants au Kenya se battent pour que justice soit rendue, la justice étant la seule réponse à la barbarie.

Laurent Bizimungu, 49 ans, laisse derrière lui une veuve et 7 orphelins.





[1] « Rwandan driver lynched in Kenya» by Edmund Kagire, « The New Times », 3 December 2010.

[2] Kenya: African Rights Report, 01/08/97

[3] « In the nick of time, the reality of mob justice in Kenya » by Kimani Nyoike, 11 October 2010 ; « Horror of Kenya’s “witch” lynchings » by Joseph Odhiambo, 26 juin 2009, BBC News, « Lynching in Kenya: A routine crime », The Economist, 18 juin 2009 (article sur l’exécution de trois hommes accusés d’avoir volé un téléphone portable).




26/05/2010

Du Rififi à l'enterrement de Jean-Bosco Barayagwiza

Jean-Bosco Barayagwiza au TPIR.

Eugène Rwamucyo n’a aucune culture cinématographique. Sinon il aurait su que se rendre à l’enterrement de Jean-Bosco Barayagwiza n’était pas une bonne idée. La police ne manque jamais l’occasion d’envoyer un ou deux policiers assister aux obsèques d’un parrain du crime. Comme pour les bons coins de pêche c’est souvent la garantie de ne pas rentrer bredouille. 

On se souvient du docteur Eugène Rwamucyo, qui, avec l’aide du directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy avait réussi à s’installer en France malgré un avis de recherche pour génocide émis par Interpol. Après le scandale, il avait réussi à obtenir un permis de séjour en Belgique.

La tombe de Jean-Bosco Barayagwiza (photographies de J.F. Dupaquier)


Loin de se taire, cet idéologue qui anima un mouvement politique extrémiste anti-Tutsi à Butare[1], osait militer en France et en Belgique pour ses thèses négationnistes. Comme Barayagwiza avant lui, il a même ouvert un site web à son nom ! Encore ce week-end, il était invité à prendre la parole dans un colloque à Bruxelles sur ...« les leçons tirées par les avocats de la défense auprès des tribunaux ad hoc des Nations Unies, et perspectives pour la justice internationale à la Cour Pénale Internationale

Bien sûr, il n’y a pas grand-chose à attendre de la justice française, dans quelques jours, il sera de retour chez lui à Anderlues (Wallonie.) Il s’agit plutôt d’un signal politique des autorités françaises envoyé aux nostalgiques des idées de Barayagwiza : s’installer en France n’est plus une bonne idée.
Jean-Bosco Barayagwiza (ci-dessus au TPIR) était un des pire extrémiste que le Rwanda ait connu. Cet intellectuel, a co-fondé au Rwanda, un parti outrageusement ethniste ; la tristement célèbre Coalition pour la Défense de la République, ainsi que la non moins célèbre RTLM dite « Radio Machette. » Arrêté au Cameroun, il a été jugé par le TPIR et condamné à 32 ans de prison pour « avoir incité à la commission d’actes de génocide par des militants de la CDR ;  avoir ordonné ou incité à la commission de l’extermination constitutive de crime contre l’humanité par des militants de la CDR ;  avoir incité à la commission de la persécution constitutive de crime contre l’humanité par des militants de la CDR. » Il est mort, le 25 avril dernier au Bénin où il purgeait sa peine.

Ce criminel, idéologue du génocide des Tutsi a donc été enterré à Sannois (Val d’Oise) dans le pays-des-droits-de-l’homme. Un beau pieds de nez aux victimes du génocide. Les nostalgiques de la terreur du  «Hutu Power» ont désormais leur lieu de pèlerinage en Europe.

Jean-Bosco Barayagwiza, tu ne nous manqueras pas.


[1] « Le cercle des républicains universitaires de Butare et Groupe des défenseurs des intérêts de la nation. » Lire « Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda » par Alison des Forges pour Human Right Watch, Editions Karthala.

15/05/2010

Le 13 mai 1994 à Bisesero au Rwanda, raconté dans le Wall Street Journal et Le Monde.

Des Rwandais attendent pour donner leur témoignage des événements de 1994. Wall Street Journal.

Ils se sont tus devant le TPIR. Des dizaines de témoins assermentés qui se sont succédés pour venir témoigner sur le massacre de Bisesero dans les affaires Alfred Musema, Elizaphan Ntakirutimana/Gérard Ntakirutimana, Clément Kayishema/Obed Ruzindana, Mika Muhimana, Eliézer Niyitegeka et Omar Serushago n’ont pas tout dit sur la journée du 13 mai 1994.

Ils se sont tus devant les enquêteurs de la « Commission d’enquête citoyenne » lancée notamment par l'association Survie[1] en 2005. Ils n’ont pas raconté en détail les évènements de la journée du 13 mai 1994.

Ils se sont tus devant la Commission Mucyo. Devant cette commission « chargée de rassembler les éléments de preuve montrant l’implication de l’État français dans la préparation et l’exécution du génocide perpétré au Rwanda en 1994 », ils ont curieusement évité de tout dire sur cette journée du 13 mai 1994.

Ils se sont tus devant les centaines de journalistes qui se sont succédés depuis 16 ans au Rwanda. Aucun n’a réussi à les faire parler, à les faire témoigner sur la journée du 13 mai 1994.

En avril 2009, puis en février 2010, ils ont finalement parlé.

Des dizaines de « témoins » ont fiévreusement attendu leur tour devant la caméra installée par un journaliste français dans les collines de Kibuye. Pendant « soixante-dix heures d'interview filmées » et durant « trente heures de tournage de reconstitutions sur le terrain », ils ont expliqué en détail, longuement, comment, le 13 mai 1994 « les soldats français avaient pris position sur une colline et tiraient sur les Tutsis », comment ils « visaient directement les hommes, les femmes et les enfants qui prenaient la fuite. »

La grande majorité de ces « témoins » sont des tueurs, des exterminateurs, des barbares qui ont tué de leurs mains des dizaines, voire des centaines d’hommes, femmes, vieillards, enfants, parce qu’ils étaient Tutsi. Pour des motifs certainement malheureux, quelques rescapés, après n’avoir jamais dit un mot sur le sujet pendant 16 ans, reprennent ces toutes nouvelles histoires racontées par les assassins de leur famille. Les Interahamwe de Bisesero nous expliquent aujourd’hui que ce sont les militaires français qui organisaient le génocide, eux, les pauvres bougres n’étaient que des exécutants.

La journaliste Anne Jolis du Wall Street Journal a pompeusement titré son article : « Rwanda's Genocide: The Untold Story », le journal Le Monde a plus prudemment classé son : « Rwanda, le 13 mai 1994 par Serge Farnel » dans les pages « opinions. »

Le même journaliste nous présentait, en janvier 2007, un scoop tout aussi extraordinaire. Serge Farnel écrivait ce jour-là « c’est la première fois qu’une Européenne témoigne, en son nom et à visage découvert, de la participation physique des soldats français au génocide des civils tutsis. Autre révélation de ce témoignage, prépondérante dans la démonstration de la vérité : des soldats tricolores arrêtaient les Tutsis au moins deux jours avant l’attentat contre l’avion de Habyarimana. A un moment – avant le déclenchement de l’opération "Amaryllis" – où les militaires français n’étaient pas censés se trouver au Rwanda

La fameuse « Européenne » une dénommée Nicole Merlo nous raconte donc qu’elle a vu « des Rwandais et des Français à toutes les barrières […] ils avaient les mêmes costumes militaires que les Rwandais.» Devant l’insistance du journaliste, Madame Merlo se fait plus précise, elle a vu ces militaires français en tenue rwandaise « faire sortir les Tutsis des taxis » le 4 avril 1994, au barrage de giti cy’ikinyoni, à l’entrée de Kigali.

Pas nous. Nous sommes de nombreux Rwandais, à être passés au même endroit le même jour, nous avons bien vu des militaires rwandais mais aucun français. Des militaires français, certains noirs, qui contrôlaient les papiers de citoyens rwandais au lieu-dit giti cy’ikinyoni, on en a vu… mais c’était en février 1993.

Les histoires sensationnelles rapportées par Monsieur Farnel, je n’y crois pas. Et je suis loin d’être la seule, parmi les Rwandais.



[1] Publiée en 2005 sous le titre L’horreur qui nous prend au visage. L’Etat français et le génocide au Rwanda (Karthala)

20/02/2010

Rwanda : Nicolas Sarkozy au Mémorial du génocide des Tutsi

Un père et sa fille, tous deux rescapés du génocide, au Mémorial du génocide de Gisozi 
(source Kagatama)

Qu’aurait dit Bibi ? Qu’aurait dit ma grand-mère Bibi, si elle avait su que 16 ans après son assassinat, le chef des armées, Nicolas Sarkozy, viendrait de France pour se recueillir devant sa dépouille au mémorial de Gisozi, à Kigali ? Elle qui avait tant peur des soldats français qui patrouillaient dans sa région… Iby’isi ni gatebe gatoki[1]; certainement. Quant à ma mère qui repose à ses côtés, je sais que cela ne l’aurait pas du tout impressionné, elle m’aurait dit «tout cela c’est du spectacle, des mots, rien de plus. Ne lui fais pas confiance». Et mon frère et son épouse qui se trouvent à quelque mètres, qu’auraient-ils dit ? Ma belle-soeur aurait sans doute murmuré : «j’ai travaillé pour vous, pour la fameuse coopération culturelle franco-rwandaise et vous nous avez abandonné à la mort, sans oublier d’embarquer vos amis les tueurs, y compris le secrétaire général des Interahamwe ! Vos fleurs ne nous consolent pas.» Et ma petite soeur, qui gît avec eux à Gisozi ? J’imagine qu’elle aurait crié avec le même regard triste et désabusé, que le jour où les soldats français contrôlaient ses papiers en février 1993 pour vérifier son ethnie : «je suis morte à 20 ans, parce que j’étais Tutsi. Un Président de la République Française peut déposer toutes les fleurs qu’il veut sur ma tombe. C’est trop tard !»

Nous l’aurons compris, c’est pour nous, les vivants, que Nicolas Sarkozy se déplacera au Rwanda, le 25 février, pour une visite éclair de seulement 3 heures. Nos morts, eux, s’en moquent.

Il faut avouer malgré tout que pour les rescapés du génocide le message est fort. Je garde toujours à l’esprit, le profond dégoût que m’avait inspiré le ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, le jour où, de passage à Kigali, le 13 août 2001, il avait refusé de se recueillir devant un site commémorant le génocide afin de se soustraire à «l'instrumentalisation du drame  par l'actuel régime.»

Bien sûr, il faudra que cette cérémonie s’accompagne de la vérité. Bernard Kouchner, a déjà reconnu que la France avait commis au Rwanda «une faute politique», ce qui n’est pas rien. J’attends de savoir comment le Président de la République Française va qualifier cette politique. Celle qui a consisté à soutenir avec acharnement, sans discernement, pendant de nombreuses années un régime fondé sur l’ethnisme. Un régime qui, avec son armée et ses milices, formés et armés par la France, a commis un génocide faisant plus d’un million de morts.

Le ciel est bleu, l’heure est grave. Nous sommes le 25 février 2010. Les deux chefs d’États, le Rwandais et le Français sont debout, côte à côte, le silence se fait dans l’assistance, ils prennent un air triste.

A quoi pensent-ils ?

On lui demande de retirer sa ceinture, ses lacets, sa montre. Avec ses amis, on le conduit dans un cachot, il ne comprend pas, il ne parle pas le français et de toute manière, on ne lui explique rien. Nous sommes en janvier 1992. Le jeune chef militaire des rebelles du FPR, invité par les autorités françaises à Paris pour négocier la paix, vient d’être jeté dans un cachot d’un commissariat parisien, après avoir été interpellé par des policiers armés dans sa chambre d’hôtel. Il sera libéré neuf heures après sans un mot d’excuse. Ce sera la première et la dernière fois que Paul Kagame foulera le sol de la patrie des droits de l’homme.

Le président français, se remémore son passage au journal de 20H00 de France 2, le 20 juillet 1994, alors qu’il n’était que le jeune porte-parole du gouvernement : «c’est tout à l’honneur de la France d’engager une opération humanitaire.[...] Imaginez un peu ce que seraient ces images s’il n’y avait pas la zone de sécurité, si les soldats français de l’opération Turquoise n’avaient pas fait ce qu’ils ont fait avec un courage formidable.» «L’opération Turquoise» permettra aux cerveaux du génocide et aux exécutants de fuir la justice de leur pays et de créer ce qui deviendra les milices terroristes FDLR dont le chef vit toujours à Paris.

Le vieil Ignace, participe à la cérémonie, en tant que membre de l’association des rescapés du génocide, il a perdu son épouse et deux de ses enfants dans le génocide. Il se demande ce qu’il doit penser de tout cela. «La France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité», cette déclaration, elle sort bien de la bouche de deux ministres français, non ? Et aujourd’hui le Président de la France va certainement prononcer des mots gentils devant la tombe de milliers de victimes du génocide. Mais pourtant, la France reste, avec le Congo, le meilleur asile au monde pour ceux qui ont commis le génocide des Tutsi. Depuis 16 ans, la France c’est Byzance pour Callixte Mbarushimana and co ! Ils y sont régularisés, ils y travaillent, ils y sont soignés, et, après 16 ans d’impunité absolue, ils ont bien compris que la justice française n’ira jamais jusqu’au bout du brassage d’air. Alors à quoi tout cela rime-t-il ?

Immaculée, journaliste au journal francophone «La Nouvelle Relève» venue couvrir l’évènement pense au  premier ministre français, Dominique de Villepin qui avait évoqué sur RFI, le 1er septembre 2003 : «les terribles génocides qui ont frappé le Rwanda» utilisant en toute connaissance de cause le pluriel. Dominique de Villepin donnera ainsi le signal de départ à une stratégie de communication sur le thème révisionniste du «double génocide», une communication qui restera une particularité française dans le monde occidental

Eustache était un des membre fondateur du PSD dans les années 1990. Professeur d’université, aujourd’hui sénateur, il a été invité à cette cérémonie qu’il attendait depuis très longtemps. Pourchassé pendant le génocide, il a perdu des amis et son frère dans le génocide. Il n’était pas Tutsi mais il était connu pour ses positions claires contre l’ethnisme prôné par le régime. Il se remémore sa stupeur, le 28 février 1993, lorsque il a entendu à Kigali le ministre français de la coopération, Marcel Debarge, exhorter les Hutu à créer un «front commun» contre le FPR. Ce qui accélèrera la création à la fin de 1993 de ce qu’on a appelé le Hutu Power, l’alliance sur une base ethnique de la majorité des partis d’opposition avec les partis MRND et CDR. 

Alivera est aujourd’hui haut fonctionnaire au ministère de l’économie. Elle est rentrée du Canada, juste après le génocide pour aider son pays après une vie d’exil forcé. Economiste, elle se rappelle ce que certains ont appelé Rwanda Acte II ou le jour d’après. Le pays était dévasté, les infrastructures détruites, les banques vidées, les intellectuels, les médecins, les fonctionnaires, les agriculteurs tués ou en fuite au Congo. Et à ce moment-là, elle se souvient qu’un pays membre du conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Union Européenne faisait tout pour bloquer les fonds à destination du Rwanda. Ce pays qui vient d’offrir la somme de 326 millions d’euros à Haiti, c’était la France.

Uniforme impeccable, médailles sur le torse, au garde à vous, John se souvient de ce jour de juin 1992 où deux de ses compagnons, ses meilleurs amis, furent pulvérisés à ses côtés, lui s’en sortira avec une vilaine blessure à la jambe gauche et une démarche claudicante. C’était dans la région de Byumba, face à lui les Forces Armées Rwandaises qui avaient à leur côté des soldats français …..règlant les tirs des canons. John jette un regard grave sur la délégation française mais il se dit que son pays a besoin de la paix.

Nous sommes, le jeudi 25 février 2010, le silence règne, les Rwandais attendent que Nicolas Sarkozy, Président de la République Française prenne la parole…


[1] La roue tourne.
--------------------------------------------------------------------------------
 Références :

19/02/2010

Rwanda: Nicolas Sarkozy Due To Visit The Tutsi Genocide Memorial

Father and daughter, both genocide survivors, at the Gisozi Genocide Memorial (source Kagatama). 


What would Bibi have said? What would grandma Bibi have said had she known that 16 years after her murder, the head of the armed forces, Nicolas Sarkozy, would travel from France to pay his respects at her grave at the Gisozi memorial in Kigali, considering that Grandma Bibi was so afraid of the French soldiers who patrolled her area… Iby’isi ni gatebe gatoki;[1] indeed. As for my mother, who is buried next to grandma, I know that she would not have been impressed by all this. She would have said: “It is just showmanship, lip service, nothing more. Do not listen to him. What about my brother and his wife, who are buried a few metres away? What would they have said? My sister-in-law would no doubt have said something like, ‘I worked for you, for your so-called Franco-Rwandan cooperation, but you ran away and left us to die – taking with you your friends the killers, including the Secretary General of the Interahamwe! Your flowers mean nothing to us’. As for my little sister, also buried in Gisozi, I imagine that she would have cried out with the same sad, disillusioned look on her face, that the day in 1993 when the French soldiers demanded her papers in order to check her ethnicity, ‘I died at age 20, because I was Tutsi. A French President can go ahead and put as many of flowers as he wants on my grave. It’s too little too late!’



We do realize that it is for us, the living, that Nicolas Sarkozy is travelling to Rwanda on 25 February for a lightning 3-hour visit. Our dead couldn’t care less.

It must be said, however, that for the survivors of genocide, this sends a strong message. I can never forget how utterly dismayed I felt when, while he was visiting Kigali on 13 August 2001, the French Minister of Foreign Affairs, Hubert Védrine, refused to pay his respects at a genocide memorial site because he did not want to be drawn into the ‘exploitation of the tragedy by the regime in place.’

Needless to say, this event must reflect the truth. Bernard Kouchner has acknowledged that France ‘made a political blunder’ in Rwanda; that is a powerful statement. I am curious to see how the French President will explain France’s policy of lending unwavering, long-term support to a regime which was founded on ethnic division. A regime whose army and militia - trained and armed by France - carried out the genocide in which over a million lives were lost.

The sky is blue. The moment is sombre. Today is Thursday, 25 February 2010. The two Presidents, of France and Rwanda, stand side by side; there is silence in the audience. They are in sombre mood.

What is going on in their minds?

He was told to remove his shoes, shoelaces and watch. Along with his friends, he was led to a cell; he had no idea what was happening; he did not speak French, and, what’s more, no one explained to him what was happening. This was back in January 1992. Having been invited to Paris for peace negotiations, the young military leader of the RPF rebel movement was detained after being arrested in his hotel room by armed police. He was released nine hours later without an apology. This was the first and last time that Paul Kagame travelled to France, a country which prides itself in promoting and upholding human rights.

The French President surely remembers the comments he made on the 8 o’clock news on France 2 television on 20 July 1994, at a time when he was only a government spokesman, ‘Launching a humanitarian operation.is much to France’s credit. [...] Can you imagine what would have happened had the security zone not been in place, had the French soldiers engaged in Operation Turquoise not done what they did with such tremendous courage’? Thanks to Operation Turquoise, the masterminds and perpetrators of the genocide escaped justice in their country and formed the FDLR, a terrorist militia group whose leader still lives in Paris.

Ignace, an elderly man, is attending the event as a member of the Association of Genocide Survivors. He lost his wife and two children in the genocide. He is at a loss as to what to make of all this. ‘France is, and will always be, a sanctuary for perpetrators of genocide, war crimes or crimes against humanity.’ Wasn’t this statement made by two French ministers? Today, the President of France will no doubt have some kind words to say at the place where thousands of victims of genocide are buried. Yet France, along with Congo, is the number one sanctuary for those who committed the genocide of the Tutsi. Sixteen years on, France is still the Promised Land for the likes of Callixte Mbarushimana! They are provided with residency papers, employment and health care and are allowed to operate with total impunity. They have realised that the French judicial system will do nothing more than pay lip service. So what’s the point of all this?

Immaculée, a reporter for the newspaper La Nouvelle Relève, is covering the event. She remembers the remarks made on RFI radio on 1 September 2003 by the then French Prime Minister, Dominique de Villepin. Mr de Villepin spoke of ‘the terrible genocides in Rwanda’, deliberately using the plural. He thus ushered in a communication strategy consisting in maintaining the argument of ‘double genocide’, something that is unique to France among Western countries

Eustache was one of the founding members of the PSD party back in the nineties. A former university lecturer, now a senator, he has been invited to this ceremony, something he has anticipating for a long time. Chased and hounded during the genocide, he lost a number of friends and his brother to genocide. While he is not Tutsi, he had a reputation for being an outspoken opponent of the regime’s policy of ethnic discrimination. He shudders to remember the remarks made in Kigali on 28 February 1993 by the French Minister of Cooperation, Marcel Debarge, who urged the Hutu to form a common front against the RPF. What followed swiftly, in late 1993, was the creation of what became known as Hutu Power, an ethnically-based alliance between the majority of the opposition parties and the MRND and CDR.

Alivera, an economist, is a senior official in the Ministry of the Economy. She returned from Canada soon after the genocide to help her country after living in forced exile. She remembers what some have termed Rwanda Act II or The Day After. The country was devastated, the infrastructure was in a shambles and the banks were cleaned out; the intellectuals, doctors and civil servants had either been killed or had fled to Congo. She remembers that one country - a member of the United Nations Security Council and the European Union - did everything in its power to ensure that no funds reached Rwanda. The country in question was none other than France. It recently donated 326 million euros to Haiti.

Clad in a spotless uniform complete with medals and standing at attention, John remembers the day in June 1992 when two of his closest friends were blown to pieces right next to him; he escaped with a nasty injury to his left leg and a limp. This happened in Byumba. Facing him were Rwandan Armed Forces, with French soldiers …..setting up the artillery. John glances gravely at the French delegation, but he realises that his country needs peace.

Today is Thursday 25 February 2010. All is quiet. The people of Rwanda are anxiously waiting to hear what Nicolas Sarkozy, President of the Republic of France, has to say…


[1] The wheel is turning.





29/01/2010

Heureux comme Callixte Mbarushimana en France

Callixte Mbarushimana (source The Washington Post)

Callixte Mbarushimana est un cumulard. Accusé de crime de génocide, par ses anciens collègues du P.N.U.D, il est également accusé de crimes contre l’humanité en tant que secrétaire exécutif des rebelles du F.D.L.R qui sévissent depuis des années au Congo.

Callixte Mbarushimana est un cumulard heureux. Depuis le génocide, ses collègues des Nations Unies, rescapés du génocide des Tutsi, ou occidentaux, n’ont eu de cesse de l’accuser du crime de génocide. Mais il a toujours échappé à toute poursuite judiciaire, mieux, il a continué à travailler pour les Nations Unies pendant six ans après le génocide.

Une équipe d’enquêteurs des Nations Unies, vient de remettre son rapport (classé confidentiel) sur cette affaire. Le Washington Post vient d’en rendre compte dans un remarquable article.

Voici l’histoire de Callixte Mbarushimana.

Juste avant le génocide, ses collègues des Nations Unies dénoncent son militantisme anti-Tutsi auprès du représentant du P.N.U.D au Rwanda, Amadou Ly. Celui-ci le convoque, il est très surpris que Mbarushimana ne cache pas son idéologie mortifère. Amadou Ly informe son siège à New York. Mais rien ne se passe.

6 avril 1994, Kigali devient en quelques heures l’enfer sur terre. Les Tutsi sont exterminés. C’est un génocide. Au départ des occidentaux, d'après le rapport des Nations Unies, Mbarushimana s’auto proclame responsable par intérim de cette agence des Nations Unies au Rwanda, puis il s’empare de tous les moyens logistiques du P.N.U.D dans la capitale qu’il met à la disposition des tueurs. De nombreux collègues Tutsi, l’accusent d’avoir dénoncé ses collègues Tutsi aux miliciens Interahamwe, et d’avoir participé lui-même aux massacres. On le soupçonne même d’avoir obtenu des informations secrètes sur des opérations de sauvetage de Tutsi via une taupe au sein du quartier général des Nations Unies. A l’arrivée du F.P.R, le bravache Mbarushimana qui se promenait en treillis, pistolet à la ceinture, s’enfuit piteusement au Congo.

En décembre 1996, il obtient un contrat pour travailler pour le P.N.U.D en Angola. Là, il tombe sur un ancien collègue américain avec qui il travaillait à Kigali, Gregory Alex. Qui le dénonce par écrit au Secrétaire Général des Nations Unies, Koffi Annan, l’accusant en particulier d’avoir participé au meurtre de Florence Ngirumpatse, la responsable des ressources humaines du P.N.U.D, et de 12 autres personnes qui étaient dans la même maison, dont une majorité d’enfants. Mais rien ne se passe.

Après son contrat en Angola, il en obtient un autre pour la Mission des Nations Unies au Kosovo qui débute le 10 novembre 2000. Encore une fois, il est dénoncé par Gregory Alex. Cette fois-ci, il est emprisonné le 11 avril 2001. Le Rwanda demande son extradition. Mais une cour du Kosovo le relâche deux mois plus tard pour vice de forme.

Le Procureur du T.P.I.R l’inculpe pour génocide. Dans le reportage « A question of murder » et dans le San Francisco Chronicle, Tony Greig, un policier australien qui travaillait pour le T.P.I.R, explique que d’après son enquête au Rwanda, Callixte Mbarushimana serait impliqué dans 32 meurtres de Tutsi, il aurait également activement collaboré avec les milices Interahamwe. Mais à ce moment là, d’après le Washington Post, le conseil de sécurité des Nations Unies fait pression auprès du Procureur pour que le T.P.I.R ne poursuive que les « gros poissons », les planificateurs au niveau national. Le Procureur du T.P.I.R retire son acte d'accusation.

Il s’installe en France, à Thiais, en 2003. Et, en contradiction totale avec l'article F a)[1] de la Convention relative aux réfugiés, il obtient la même année, sans aucun problème le statut de réfugié dans le-pays-des-droits-de-l’homme. On sait que c’est Claude Guéant qui a aidé Eugène Rwamucyo, un autre suspect de génocide, à se procurer une carte de travail. Mais qui a réussi l’exploit d’obtenir l’asile politique au surmédiatisé accusé de génocide Callixte Mbarushimana ?

Le 29 juin 2005, il est élu secrétaire exécutif des F.D.L.R, un groupe rebelle classé terroriste qui commet des crimes horribles au Congo. Personne en France ne l’interdit de militer dans ce mouvement politique criminel, alors qu’en tant que réfugié politique il a l’obligation de conserver un devoir de réserve dans son pays d’accueil.

Fâché d’avoir été licencié par les Nations Unies lors de son inculpation au Kosovo, il saisit le Tribunal Administratif des Nations Unies et réclame une indemnisation. Le 30 septembre 2005, il gagne son procès. Les Nations Unies sont contraints de lui verser 12 mois de salaires en dédommagement, soit 47 635 $.

En juin 2005, les Nations Unies demandent officiellement à la France de poursuivre  Mbarushimana pour génocide. Mais rien ne se passe.

Le 6 février 2006, le C.P.C.R (Collectif pour les Parties Civiles du Rwanda) dépose une plainte contre Mbarushimana, en France pour génocide. Mais rien ne se passe.

En juillet 2008, lors d’un contrôle de passeport à l’aéroport de Francfort, alors qu’il compte s’envoler pour la Russie, il est arrêté grâce à une « notice rouge » d’Interpol à son nom. Quatre mois plus tard il est libéré, car une cour allemande a jugé qu’il ne pouvait pas être extradé vers le Rwanda.  Il est libre.

Le 5 mars 2009, le Comité de sanction RD Congo de l’ONU le place sur la liste des personnes et entités visées par les interdictions de voyager et le gel des avoirs prévues par la résolution 1857 (2008). Mais personne en France, n’inquiète le secrétaire exécutif des F.D.L.R, qui publie régulièrement des communiqués de presse. Ironiquement, il en a publié un il y a quelques jours sur …«  la vérité et la justice ».

En novembre 2009, les Nations Unies publient un rapport d’enquête accablant sur les liens étroits entre les tueurs des F.D.L.R qui massacrent au Congo et leurs leaders « politiques » qui vivent dans la diaspora en Europe. Le Président et le Vice-Président des F.D.L.R sont immédiatement arrêtés par l’Allemagne, leur pays d’accueil. Ils sont inculpés de crime contre l’humanité. Mais pas Callixte Mbarushimana qui devient de facto le responsable suprême des F.D.L.R dans le monde.

Novembre 2009, la France et le Rwanda décident de renouer leurs relations diplomatiques. Quelques jours plus tard, la ministre de la justice Michèle Alliot-Marie et le ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner, font cette magnifique déclaration : « la France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité ». On apprend dans Le Télégramme que « le nouveau chef d'état-major des armées, Édouard Guillaud, est convaincu que le Rwanda, où se rendra le mois prochain le président Sarkozy, est l'une des clefs de la stabilisation au Kivu ». Deux bonnes raisons pour la France de mettre hors d’état de nuire l’accusé de génocide et leader mondial des F.D.L.R qui vit à Paris [2]. Mais rien ne se passe.

Nous, les survivants du génocide des Tutsi, nous nous posons cette question simple : jusqu’à quand Callixte Mbarushimana va-t-il narguer la justice ? La France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, comment peut-on vraiment y croire, madame Alliot-Marie, monsieur Kouchner ?

 Références :

·       Rebel leader accused of genocide lives in Paris, The Washington Post, 24 janvier 2010, et ma traduction de l'article en français : Un leader rebelle accusé de génocide vit à Paris. 
·       Décision du Tribunal Administratif des Nations Unies, datée du 30 septembre 2005.
·      Rwandan Accused in Genocide Wins Suit for U.N. Pay, The New York Time, 8 aout 2004.
·      Un Rwandais recherché pour génocide arrêté en Allemagne, France 24, 8 juillet 2008.



 [1] F.- Les dispositions de cette convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser: a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes


 [2] Callixte Mbarushimana vit aujourd'hui à Paris dans le 19ème arrondissement.


"A question of Murder" par Ginny Stein, SBS TV Australia (21 février 2007)