26/05/2010

Du Rififi à l'enterrement de Jean-Bosco Barayagwiza

Jean-Bosco Barayagwiza au TPIR.

Eugène Rwamucyo n’a aucune culture cinématographique. Sinon il aurait su que se rendre à l’enterrement de Jean-Bosco Barayagwiza n’était pas une bonne idée. La police ne manque jamais l’occasion d’envoyer un ou deux policiers assister aux obsèques d’un parrain du crime. Comme pour les bons coins de pêche c’est souvent la garantie de ne pas rentrer bredouille. 

On se souvient du docteur Eugène Rwamucyo, qui, avec l’aide du directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy avait réussi à s’installer en France malgré un avis de recherche pour génocide émis par Interpol. Après le scandale, il avait réussi à obtenir un permis de séjour en Belgique.

La tombe de Jean-Bosco Barayagwiza (photographies de J.F. Dupaquier)


Loin de se taire, cet idéologue qui anima un mouvement politique extrémiste anti-Tutsi à Butare[1], osait militer en France et en Belgique pour ses thèses négationnistes. Comme Barayagwiza avant lui, il a même ouvert un site web à son nom ! Encore ce week-end, il était invité à prendre la parole dans un colloque à Bruxelles sur ...« les leçons tirées par les avocats de la défense auprès des tribunaux ad hoc des Nations Unies, et perspectives pour la justice internationale à la Cour Pénale Internationale

Bien sûr, il n’y a pas grand-chose à attendre de la justice française, dans quelques jours, il sera de retour chez lui à Anderlues (Wallonie.) Il s’agit plutôt d’un signal politique des autorités françaises envoyé aux nostalgiques des idées de Barayagwiza : s’installer en France n’est plus une bonne idée.
Jean-Bosco Barayagwiza (ci-dessus au TPIR) était un des pire extrémiste que le Rwanda ait connu. Cet intellectuel, a co-fondé au Rwanda, un parti outrageusement ethniste ; la tristement célèbre Coalition pour la Défense de la République, ainsi que la non moins célèbre RTLM dite « Radio Machette. » Arrêté au Cameroun, il a été jugé par le TPIR et condamné à 32 ans de prison pour « avoir incité à la commission d’actes de génocide par des militants de la CDR ;  avoir ordonné ou incité à la commission de l’extermination constitutive de crime contre l’humanité par des militants de la CDR ;  avoir incité à la commission de la persécution constitutive de crime contre l’humanité par des militants de la CDR. » Il est mort, le 25 avril dernier au Bénin où il purgeait sa peine.

Ce criminel, idéologue du génocide des Tutsi a donc été enterré à Sannois (Val d’Oise) dans le pays-des-droits-de-l’homme. Un beau pieds de nez aux victimes du génocide. Les nostalgiques de la terreur du  «Hutu Power» ont désormais leur lieu de pèlerinage en Europe.

Jean-Bosco Barayagwiza, tu ne nous manqueras pas.


[1] « Le cercle des républicains universitaires de Butare et Groupe des défenseurs des intérêts de la nation. » Lire « Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda » par Alison des Forges pour Human Right Watch, Editions Karthala.

15/05/2010

Le 13 mai 1994 à Bisesero au Rwanda, raconté dans le Wall Street Journal et Le Monde.

Des Rwandais attendent pour donner leur témoignage des événements de 1994. Wall Street Journal.

Ils se sont tus devant le TPIR. Des dizaines de témoins assermentés qui se sont succédés pour venir témoigner sur le massacre de Bisesero dans les affaires Alfred Musema, Elizaphan Ntakirutimana/Gérard Ntakirutimana, Clément Kayishema/Obed Ruzindana, Mika Muhimana, Eliézer Niyitegeka et Omar Serushago n’ont pas tout dit sur la journée du 13 mai 1994.

Ils se sont tus devant les enquêteurs de la « Commission d’enquête citoyenne » lancée notamment par l'association Survie[1] en 2005. Ils n’ont pas raconté en détail les évènements de la journée du 13 mai 1994.

Ils se sont tus devant la Commission Mucyo. Devant cette commission « chargée de rassembler les éléments de preuve montrant l’implication de l’État français dans la préparation et l’exécution du génocide perpétré au Rwanda en 1994 », ils ont curieusement évité de tout dire sur cette journée du 13 mai 1994.

Ils se sont tus devant les centaines de journalistes qui se sont succédés depuis 16 ans au Rwanda. Aucun n’a réussi à les faire parler, à les faire témoigner sur la journée du 13 mai 1994.

En avril 2009, puis en février 2010, ils ont finalement parlé.

Des dizaines de « témoins » ont fiévreusement attendu leur tour devant la caméra installée par un journaliste français dans les collines de Kibuye. Pendant « soixante-dix heures d'interview filmées » et durant « trente heures de tournage de reconstitutions sur le terrain », ils ont expliqué en détail, longuement, comment, le 13 mai 1994 « les soldats français avaient pris position sur une colline et tiraient sur les Tutsis », comment ils « visaient directement les hommes, les femmes et les enfants qui prenaient la fuite. »

La grande majorité de ces « témoins » sont des tueurs, des exterminateurs, des barbares qui ont tué de leurs mains des dizaines, voire des centaines d’hommes, femmes, vieillards, enfants, parce qu’ils étaient Tutsi. Pour des motifs certainement malheureux, quelques rescapés, après n’avoir jamais dit un mot sur le sujet pendant 16 ans, reprennent ces toutes nouvelles histoires racontées par les assassins de leur famille. Les Interahamwe de Bisesero nous expliquent aujourd’hui que ce sont les militaires français qui organisaient le génocide, eux, les pauvres bougres n’étaient que des exécutants.

La journaliste Anne Jolis du Wall Street Journal a pompeusement titré son article : « Rwanda's Genocide: The Untold Story », le journal Le Monde a plus prudemment classé son : « Rwanda, le 13 mai 1994 par Serge Farnel » dans les pages « opinions. »

Le même journaliste nous présentait, en janvier 2007, un scoop tout aussi extraordinaire. Serge Farnel écrivait ce jour-là « c’est la première fois qu’une Européenne témoigne, en son nom et à visage découvert, de la participation physique des soldats français au génocide des civils tutsis. Autre révélation de ce témoignage, prépondérante dans la démonstration de la vérité : des soldats tricolores arrêtaient les Tutsis au moins deux jours avant l’attentat contre l’avion de Habyarimana. A un moment – avant le déclenchement de l’opération "Amaryllis" – où les militaires français n’étaient pas censés se trouver au Rwanda

La fameuse « Européenne » une dénommée Nicole Merlo nous raconte donc qu’elle a vu « des Rwandais et des Français à toutes les barrières […] ils avaient les mêmes costumes militaires que les Rwandais.» Devant l’insistance du journaliste, Madame Merlo se fait plus précise, elle a vu ces militaires français en tenue rwandaise « faire sortir les Tutsis des taxis » le 4 avril 1994, au barrage de giti cy’ikinyoni, à l’entrée de Kigali.

Pas nous. Nous sommes de nombreux Rwandais, à être passés au même endroit le même jour, nous avons bien vu des militaires rwandais mais aucun français. Des militaires français, certains noirs, qui contrôlaient les papiers de citoyens rwandais au lieu-dit giti cy’ikinyoni, on en a vu… mais c’était en février 1993.

Les histoires sensationnelles rapportées par Monsieur Farnel, je n’y crois pas. Et je suis loin d’être la seule, parmi les Rwandais.



[1] Publiée en 2005 sous le titre L’horreur qui nous prend au visage. L’Etat français et le génocide au Rwanda (Karthala)